lettres malgaches 36

Claudio à Roivivant, le jour de la fête des mères

Les mammas italiennes ont la réputation d'être possessives envers leurs enfants au point de leur donner une éducation de la dépendance à leur égard et par voie de conséquence à l'égard de toute forme d'autorité affective, de protection, de nourrissement. Pour un enfant, il n'est pas facile d'échapper à l'excès d'amour et de sollicitude, à l'omniprésence étouffante, à la suralimentation de plaisirs partagés et de nourritures charnelles, à la protection tentaculaire de la mamma, la sienne, celle qui fonde la famille et tisse la toile du bonheur. Cette forme d'oppression fait de la famille le cœur central du réseau personnel dont les ramifications débordent vers des clans où les différentes familles ont les mêmes codes. L'enfant n'a qu'à se laisser guider jusqu'à l'âge adulte, où à son tour il ferra allégeance au clan et mènera sa propre famille dans le droit chemin et la débrouille.

Je ne comprends pas que tu puisses critiquer ce système, c'est le meilleur : il détermine notre sécurité, notre stabilité, notre tradition et notre style de vie. Ceux qui s'en éloignent prennent le risque d'être isolés et éventuellement sanctionnés, s'ils sont injustes ou traitres. Chaque clan donne la préférence à ses familles, ce qui provoque quelques fois des grincements et des luttes de domination. C'est le cas actuellement à Naples à propos des ordures ménagères mais tu peux constater que le clan tient bon et que la population prend son mal en patience en attendant les arrangements. Le président du Conseil, S. Berlusconi, a promis de nettoyer la ville de toute la saleté et tout rentrera dans l'ordre : le business reviendra aux familles les plus méritantes et les mammas pourront emmener les enfants en vacances en Sardaigne ou en Sicile dans les autres clans. Avec ses 3 piliers, la société italienne tient l'équilibre comme un guéridon au cours d'une séance de spiritisme, même si, parfois, un pied tape plus fort que les 2 autres.

Tu devrais plutôt t'inquiéter de l'oppression militaire en Birmanie où la population touchée par un cyclone dévastateur est maintenue en état de dépendance envers un pouvoir refusant même l'aide humanitaire. En Chine également, un tremblement de terre montre la difficulté d'organiser les secours d'urgence dans un pays disposant d'une puissance publique considérable, mais la rigidité structurelle du système laisse apparaitre les failles d'une société soumise à un parti politique, à une administration centralisée et hiérarchisée, où il est difficile voire périlleux de prendre des initiatives. Les parents, désormais seuls, se demandent pourquoi les bâtiments scolaires se sont effondrés sur le petit corps fragile de leur unique avenir.

Mon cher Roivivant, dis aux français que je souhaite bonne chance à leur équipe de football, mais ils devront affronter les glorieux fils de nos mammas italiennes et que notre victoire n'enlèvera rien à leur bravoure. A bientôt à Rome pour faire la fête autour d'une Pasta.